Chapitre 4 : Le changement
Avant d’enfourcher son vélo pour la retrouver, il dut essuyer la selle car l’orage menaçait. Il redoubla d’efforts pour franchir l’imposant viaduc, ignorant la pluie cinglante et les vents contraires. Rien ne le ferait dévier de sa route, aussi dure soit-elle, il irait tout droit au plus rapide.
Arrivé au sommet du pont, Sam essoufflé finit par poser le pied à terre et leva la tête au moment où le ciel se zébra d’un éclair. Subjugué par une telle puissance, Sam demeura un instant figé. Que désirait-il vraiment ? Le pouvoir, la puissance à l’image de cet éclair ? Un second arc électrique jaillit plus proche de lui.
« C’est étrange se dit-il en reprenant son souffle, avec autant de puissance pourquoi cet éclair ne prend pas la route la plus directe, la plus courte, la plus rapide bref la plus droite pour traverser le ciel ? ». Cette question tarauda Sam sur tout le trajet, assurément sa mère trouverait la réponse.
Rien dans la maison maternelle n’avait jamais changé. Chaque chose a sa place et chaque place a sa chose. Cette devise faisait la fierté de la maîtresse des lieux. Elle valait aussi pour Sam qui avait sa place à table. Elle valait aussi pour son père, prématurément décédé, dont la photo trônait au-dessus de la télévision.
Quand d’autres auraient qualifié cette routine d’ennuyeuse, Sam et sa mère la qualifiaient de rassurante, d’apaisante. L’imprévu n’avait en ces lieux sanctuarisés pas le droit de cité.
Dans un souffle, Sam fit part à sa mère de cette toute nouvelle remise en cause de ses certitudes.
« Tu devrais te ménager … lui suggéra sagement sa mère.
- Me ménager, reprit Sam les yeux brillants dans un éclair de lucidité
- C’est sûr, tu as de la fièvre mon fils ».
Sam se tourna brutalement vers sa mère qui se tenait à ses côtés, thermomètre en main.
« N’est-ce pas ce que fait l’éclair ? S’écria Sam avec force. S’il ne prend pas le chemin le plus rapide, c’est qu’il prend le chemin qui offre le moins de résistance ! ».
Surprise, l’infirmière ad hoc lâcha le précieux artefact en verre qui rebondit sur la table avant de se briser en heurtant le sol. Le mercure glissa et se répandit en tous sens par petites gouttelettes désordonnées qui vinrent glisser dans les interstices du carrelage. Puis, les gouttes de métal liquide s’immobilisèrent en s’agglutinant à l’endroit le plus incurvé pour former une bille parfaite.
Sam observa ce manège avec attention. Qu’avait voulu, en fine psychologue, lui dire sa mère en provoquant cette brisure de symétrie ? Acte fortuit ou volonté délibérée de signifier la rupture définitive du lien maternel ?
Il devait en savoir plus. Il fixa sa mère avec gravité.
« Dis maman, tu ne crois pas qu’à trop vouloir résister, je me serais peut-être égaré ? »
La mère fixa son fils d’un air tout aussi grave.
« C’était le thermomètre de ton père … Il va falloir en acheter un nouveau, il sera beaucoup moins précis c’est sûr ! Ah ! tous ces changements mon fils ça me chamboule !».