Chapitre 1 : L’innovation
Sam est un homme d’une petite trentaine d’années, d’un embonpoint galopant, d’une pilosité hirsute et les yeux cernés. Un portrait sévère diront certains, sévère mais juste. Pourtant rien ne le prédestinait à devenir ce qu’il est aujourd’hui, un homme ordinaire. N’avait-il pas connu très jeune sa première grande victoire lorsqu’au moment de la conception il était sorti grand vainqueur de la course effrénée qu’il mena pour féconder en premier, l’ovule maternelle ?
En un certain sens, il avait su faire preuve d’innovation, introduisant un élément nouveau dans un système existant.
Boosté par ce précoce succès, aujourd’hui employé modèle, Sam a toujours travaillé à être le plus efficace, en fournissant un maximum de travail pour un maximum d’énergie. Il espérait ainsi satisfaire aux exigences de son striatum et de sa hiérarchie.
Le striatum, cette petite protubérance striée nichée au centre du cerveau, Sam le découvrit par hasard sur une grille de mots croisés. L’auteur l’avait défini de manière alléchante : « siège de nos désirs ». En voyant la définition proposée, ce ne fut pas « striatum » qui émergea immédiatement de l’imaginaire de Sam. Fort heureusement, la grille avait été remplie par sa collègue Elodie, férue d’activités cérébrales. Curieux, Sam découvrit son striatum.
Il se posa alors la question de ce qu’il désirait le plus ? Une petite voix lui répondit presque aussitôt « ce qui te manque le plus ! ».
Sam était familier de ce genre de fulgurance. Sa mère, qui nourrissait à l’égard de son fils un amour fusionnel, en avait été le témoin privilégié. Elle ne tarissait pas d’éloge quant à l’âpreté intellectuelle de son fils qui confinait selon elle au génie.
Si unique qu’il fut pour sa mère, Sam manquait paradoxalement de singularité.
La loi des séries aidant, Sam fut alors l’objet d’une seconde fulgurance : ce qui lui manquait le plus c’est la reconnaissance dont il pourrait nourrir un ego qui ne fut jamais démesuré. Quoi de plus naturel en somme ?
Mais pour l’heure, la reconnaissance tardait à arriver. Aussi, il vérifia, « à l’insu de son plein gré », un autre grand principe : quand l’entreprise ne permet pas de satisfaire les besoins fondamentaux, les travailleurs créent, sur la base d’affinités, des groupes informels dans lesquels la reconnaissance devient possible.
C’est ainsi que Sam finit par se dire que l’individu n’existe pas sans le regard des autres. Il décida alors de s’investir. Il était temps pour Sam de se frotter à son écosystème. Empreint d’une modestie innée, il se fixa comme limite d’éclairer sans jamais éblouir. Fort bien lui en prit… Sam s’apprêtait à introduire un groupe, nouvelle innovation qui ne manquera pas de révéler nombre d’émergences des plus inattendues.